Facsimile
Transcription
Folio 316r C’est ung petit traictté du nom de Jesus tres proffitable.
Jesus et Maria sunt cordis humani consolatio tota. Jesus et Maria, c’est toute la consolation du coeur humain. Pour declarer le fruyct et efficace de ces deulx precieux nons, Jesus et Maria, premierement nous parlerons de ce doulx nom, Jesus, duquel son espouse, l’ame devote toute embasmee, parle aux Cantiques en disant: Oleum effusum nomen suum. ‘Ton nom’, dit elle, ‘est ung huylle respandue par tout le monde’. De quoy parle sainct Bernard en disant devotement: ‘Courez, toutes sortes de gens, vous avez vostre salut a la main’. Le nom est espandu de celuy quiconques l’invocquera il sera saulvé. C’est le Dieu des anges et des hommes ainssy appellé. C’est ung nom benoist. Cest ung huylle lequel non seullement arrouse lez cielz mais aussy toute la terre, et non seulement les justes mais les pecheurs, lesquelz, dit le prophette Folio 316v Joel, ‘estoie[n]t pourris et infectez en leur ordure comme les jumens’. ‘Mais il a sy fort multiplié sa misericorde’, dit David, ‘qu’il veult saulv[e]r les hommes et les jumens’ (qui sont les pecheurs). C’est donques ung huylle a bon marché veu qu’il est ainssi espandu partout, car comme dit David en la personne du doulx Jhesus, ‘j’ay esté espandu comme l’eau’. Davantage, dit sainct Pol, ‘il s’est tant hu[m]ilié qu’il a prins la forme humaine pour estre serviteur dez hommes’. Il est doncques vray de dire que le doulx nom de Jhesus est huylle espandu partout.
Sainct Bernard dit qu’il est appellé huylle pour troys proprietez qui sont a l’huylle. Premyerement l’huille enlumine, secondement elle nourist, et tiercement elle sert de medecine. Le doulx nom de Jhesus reluyt et enlumine quamt il est nommé et presché. Il nourrist le coeur pensé et souvent recogité. Il oingt et adoulcist quant il est devotement invoqué et appellé. Folio 317r Quant au premier, dont est venu si grande lumiere de la foy et sy subitement cy n’est du doulx nom de Jhesus presché et publié par les apostres et aultres glorieux sainctz? Ne nous a pas appelez Dieu par la lumiere de ce doulx nom Jhesus? De quoy dit sainct Pol: ‘Vous avez esté aultresfois tenebres, mais vous este maintenant lumyere en Dieu qui est le doulx Jhesus’. Iceluy nom a porté le glorieux apostre devant lez roys et princes comme la belle lampe de quoy a esté enluminé le nom de errant. La nuyct est passee et le jour est venu, chassons doncques le oeuvres de tenebres de peché et vestons les belles armes de lumyere affin de cheminer joyeusement de jour.
Et non seullement le doulx nom de Jhesus est lumiere, mais est une doulceur et delectable viende. Ne sommes nous pas confortez et refectionnes toute fois qu’il nous souvient de ce beau et doulx nom, Jhesus? Quelle viande peult tant engresser nostre coeur et nostre Folio 317v pensee? Que est ce qui fortifie nos vertus et repare nos menbres et entretient et nourrist nos bonnes affections? Toute la viende de nostre coeur est seche sy elle n’est arrousee de ce bel huylle, Jhesus. Elle est sans saveur si elle n’est condie et affectee de ce bel huylle, Jhesus. Si vous escripvez ou sy vous lyses ou conferez avecques voz amys ou amyes, vous n’y prenez point de goust si le nom de Jesus n’est premyer nommé. Jhesus, c’est miel en la bouche, melodie en l’oreille, et jubilation au coeur.
Tiercement, le doulx nom de Jhesus est medecine. Si aucun est en tristesse, que Jhesus vienne en son coeur, puis qu’il sorte en sa bouche, et incontinent toute tristesse ou confussion se separe, ainssy que les tenebres devant la lumiere. Qui est celuy, si la fontayne de larmes est d’avanture sechee en son coeur auquel par l’invocquation de ce doulx nom Jhesus elle ne sourde en grant habondance? Qui est en quelque danger corporel ou spirituel ou adversité, la vraye medecine pour estreFolio 318rconsolé et aydé parfaictement, c’est le doulx nom de Jhesus. De quoy, dit David en la personne de Jhesus, ‘Appelle moy en temps de tribulation et je te delivreray et puis tu me honoreras’.
Se la tenebrosité de tristesse te advironne, si la tempeste de tribulation et temptation te agite et les vens de vaine gloire te presse[n]t, si la pernicieuse tourbe des vices te troubles, si la merveilleuse horreur des diables te espovente, invocquez Jhesus,lequel semble qu’il dorme et qu’il n’e[n]tende point a toy, mais toutesfoys il ne dort point car il garde tousjours Ysrael, c’est ceulx qui ce confient en luy et le regardent par foy et esperance. Il attent que on l’appelle, et pour ce luy fault dire tout plain de foy: Exurge, Domine, Jhesu quare obdormis. ‘Doulx Jhesus, entens a moy, ne me delaisses pa[s]’. Et incontinent il commendera a la mer et aux vens, et toute tempeste et trouble sera appaiser et tout sera serain et bien Folio 318v ordonné. Car là où le doulx nom de Jhesus sonnera par devote invocation, nulle nuysance spirituelle ne nulle peste mortelle ne pourra nuyre ny demourer. Et l’ennemy ne peult porté ne endurer ce precieux nom, car aultant de malvaistiez qu’il peult perexcogiter et inferer a l’encontre de nostre ame, aultant et plus sans conparaison ha le vray medecin -- il, Jhesus -- de medecines et remedes pour nous guarir et garder.
Ne craignes donc point les angoisses du corps, lez fallaces diaboliques, les reprehensions et commendemens austeres des prelatz, la dureté de maladie ou troup grand pouvreté, mais dittes a Jhesus: Propter nomen tuum, Domine, dux michy eris et enutries me. Jesus est source et fontayne de toutes vertus, moyen de tous merites, doulceur et suavité surmontant toutes aultres suavites et doulceurs, et destruction de tous v[i]ces et peches. Certes, c’est le nom qui est sur tous noms, pour la reverence Folio 319r duquel tous genous flechisse[n]t en ciel, en terre, et en enffer. C’est ung nom delectable et moult doux et souef et plain de grans vertus, par l’invocation duquel plusieurs ont esté delivres de grans dangers, tant en mer que en terre, aussy qu’il apert en moult de histoires de la saincte escripture.
‘Certainement’, dit sainct Bernard, ‘qua[n]t je nomme le doulx nom de Jesus, je me prepose ainssy comme ung homme tout begnim, tout humble de coeur, sobre, chaste, et tout peché est guery en moy et estainct’. ‘O’, dit il, ‘mon ame, tu as ce beau electuayre cordial en ce beau vesseau du nom del Jhesus, contenu pour te garir de toute malladie, de peste et infection visieuse’. Et pourtant garde songneusement ceste doulce et precieuse medecine en la boiste de tout coeur, car c’est le veatique dez humains, la medecine et la lumire.
Mais supposé que le nom de Jhesus est si doulx et delectable, venons a contempler Folio 319v ung peu la doulceur du beau fruict contenu en iceluy beau nom Jhesus, duquel fruict parle son espouse aux Ca[n]tiques, disant que son espoulx est tout plain de tous delices et du tout beau, doulx, et delectable. Nous trouvons qu’il est delectable en plusieurs manieres. Premierement pour habiter ou demourer avecques luy est delectable a pencer, delectable a veoir, delectable a odorer ou sentir, delectable a gousté, delectable a ouyr et delectable a aymer, desquelz nous parlerons de chascun en son ordre.
Jhesus est premierement delectable pour demourer ou vivre avecques luy pour sa tres doulce conversation car il n’y a poinct d’ennuy: de vivre avecques luy est toute joye et lyesse. Et pourtant dit sainct Clement que sainct Pierre se prenoit a pleurer quamt il luy souvenoit de la doulce conversation de son maistre Jhesus. C’est pourquoy il est dit en l’evangille: ‘Est il possible que les enffans’, dit l’espouse, Folio 320r ‘puisse pleurer tandis que l’espoulx est avecques eux’? L’espouse est l’eglise et l’espoux est Jhesus, et nous sommes sez enffans. Tandis qu’il est avecques nous par grace et spirituelle visitation, nous ne povons estre en pleurs ne gemessemens. Certainement, c’est l’espoux qui est oingt d’huylle de liesse et de exultation, de la bouche duquel miel et laict sortit. De quoy dit sainct Bernard: ‘Qu’est il de merveille se l’ame devote est oingte qui embrasse celuy qui est oingt’? Ceulx qui sont oingtz de cest huylle sont voulentiers doulx, begnins et traictables, et habondans de pitié et de misericorde. Celuy duquel le coeur est devot envers Dieu ne sauroit estre cruel envers son prochain.
Secondement, Jhesus est ung fruit delectable a penser et mediter. De quoy dit David en cest affaire tout experimenté: Memor fui Dei. ‘Quant il me souvient’, dit il, ‘de mon Dieu, je m’y delectes’. Et dit davantaige: Folio 320v ‘qui pense a Dieu et s’y delecte, il ayra tout ce que son coeur desire’. Pourtant, dit ung docteur devot: ‘O mon Dieu, Jhesus, ta memoyre m’est plus doulce que miel. La meditation de toy est plus suave que nul aromatique breuvage. Parler de toy m’est une parfaitte refection; te congnoistre perfaicte consollation; me joindre avecques toy par amour, vie eternelle; estre separé de toy, mort eternelle’. Et pourtant, dit David, ‘Jecte ta pensee en Jhesus et il te nourrira’. Car tout le temps auquel de Dieu tu n’as pensé ou dez choses a luy appartenantes ou se adressantes a luy, certainement tu l’as perdu. Pour ceste cause Thobie enseigna son filz que tous les jours de sa vie il eut Dieu en sa pensee, et pour cela il se garderoit de l’offencer.
Car il n’est rien qui plus nous garde d’offencer Dieu par peché que de souvent penser a luy, considerant son amour, sa bonté, sa misericorde, sa justice, sa puissance, sa sapience et sa gloyre. Pourtant, dit David, ‘J’é tous‵j′ours mon seigneur, mon Dieu, devant mes yeux et en ma dextre Folio 321r affin que je me tienne avec luy et que ne m’en eslongne’. Sainct Jehan a l’Apocalipse dit que c’est le premier et le dernier -- qui est a entendre premier prest de venir et le dernier de se separer de nous. Car jamés ne nous laisse le premier ce nous ne le laissons, et jamés nous ne sairio[n]s faire une bonne oeuvre si ne l’a comencé et parfait. Il est doncques bon que tousjours nous l’ayons en nostre coeur par vraye meditation sy nous voulons eviter le mal et faire le bien.
Tiercement, nous disons que le doulx Jhesus est ung fruit delectable a veoir pour la beauté de luy qui est indiscible. Laquelle chosse n’est pas de merveille, car c’est la lumyere de gloire, le soleil de justice, lequel les anges pour toute consummation et retribution de gloire desirent veoir. ‘Car c’est la vie eternelle’, dit sainct Augustin, ‘que de le veoir clerement’. C’est celuy de quoy parle son espouse aux Cantiques: ‘Mon amy’, dit elle, ‘est tout blanc par purité d’innocence en sa nativité, et rouge en sa passion’; blanc car il est naqui de la vierge, rouge car il nous ha laves en son precieux sang. Et pour ceste cause dit Folio 321v le sage que ce a esté la rose plantee en Jerico qui represente Adam, car Jerico vault aultant a dire comme l’oudeur de son seigneur. Or est ainssy qu[e] Adam, et toute sa posterité -- qui est nature humaine -- est l’oudeur, dit sainct Pol, de son seigneur Jhesus pour le peché duquel il a esté tainct en rouge de son precieux sang. De quoy perle Esaye en la personne dez anges par admiration, en disant: ‘qui est cestuy cy qui vient, ses vestemens tai[n]ctz de Bosra’? Qui est a dire tribulation ou angustie.
Pour conclure en bref touchant la beauté du doulx Jhesus, considerons la beaulté et perfection de toutes creatures en leur esta[t], ce n’est que une petite etincelle de beaulté procedante de la beaulté infinie et incree de Dieu. Car toutes creatures n’ont point raison de beauté, de bonté, ne aussi de estre eux mesmes sinon par la partic[ip]ation de Dieu, car c’est celuy qui nous communique et donne tout cela qui est en nous. Car Dieu seul est bon par essence. Il ensuit donques que veoir la cause dont tous biens procedent est ung bien infiny. Là consiste toute beauté et perfaiction, ce qui n’est possible de dire ne penser. Folio 322r Et pourtant nous devons bien zeler [pour] parvenir a la clere vision, parfaictte fruition et possession seure du doulx Jhesus, car nous ayrons tousjours fain et soif en ce monde jusque a ce que nous y parvenons.
Et pourtant, dit le bon David: Et nunc quae est expectatio mea. ‘Maintenant’, dit il, ‘qui est mon anttende et mon esperance? N’est ce pas toy, mon Dieu, ouquel est ma substance et mon arrest’? Et dit en ung aultre passage: Michi adherere Deo bonum est. ‘Tout mon bien et mon plaisir est me joindre avecques toy par vraye amour et charité, et mettre mon esperance en toy’; laquelle chose est le moyen de parvenir a veoir la perfection de sa beaulté. O que nous devons desiré et aymer la vision de ceste beaulté! O que la congnoissance de sa majesté est merveilleuse! O quelle suavité, quelle doulceur et delectation c’est veoir Dieu en luy mesmes -- c’est en son essence -- et puis le veoir en nous et nous veoir en luy, là où consiste consummation de beatitude.
Item, le doulx Jhesus est doulx et Folio 322v delectable a ouyr. De quoy parle son espouse aux Cantiques: ‘Mon ame’, dit elle, ‘est fondue et remise du feu d’amour quant mon amy parle a moy’. Et pourtant disoit sai[n]ct Pierre a son bon maistre, le doulx Jhesus, lequel il aymoit tant: ‘Helas, mon seigneur, si tu nous laisses, a qui pourrons nous aller?’ Ces parolles nous refectionnent et donne vie eternelle. Et la bonne Magdalene, embasmee de l’amour du doulx Jhesus, estoit tousjours aux piedz de luy pour ouyr sa doctrine. Et [le] bon David disoit: Audiam quid loquatur in me Dominus. ‘Je veuil’, dit il, ‘escouter que c’est que me dira mon seigneur, mon Dieu’. Et notament il dit qu’il veult ouyr la parolle de Dieu, car il ne vouloit point ouyr la chair, le monde, ne l’ennemy qui sont nos ennemys mortelz, car il nous parlent de toutes choses impudiques, vainnes, et inniques. ‘La parolle de Dieu’, dit David, ‘est toute plainne de charité, et pourtant ces serviteurs sont pronps a le louer et l’aymer mervilleusement’. Folio 323r
C’est là où on congnoist les enffans et amys de Dieu, quant ilz oyent voulentiers parler de luy, ainssy come luy mesmes disoit aux maulditz Juifz, car la parolle de Dieu nectoye le coeur ainssy que l’eaue nettoye le vesseau. Pourtant disoit le doulx Jhesus a ses apostres: ‘vous estes nectoyes et mondifiez par ma parolle’. Il [est] doncques vray que le doulx Jhesus est delectable a ouyr, car ses parolles enf[l]anbent ses serviteurs a l’aymer et a garder ses comendemens.
Item, le doulx Jhesus est delectable a sentir ou odorer. Et pourtant dit sainct Bernad: ‘O bon Jhesus, qui ne sent la suavité de ton oudeur, il est pugnaitz ou infect ou il est mort’. O que le glorieux sainct Jehan l’evangeliste estoit bien imbué de cest oudeur quant il disoit: ‘Ton oudeur, mon Dieu, m’a donné le desir et la concupiscence de la vie eternelle’! O que la suavité de cest oudeur fut bien espandue le jour de sa passion quant il le presenta l’hostie en l’oudeur de suavité! A ceste heure là fut Folio 323v ronpue la boitte de son corps, et de l’ongnement qui fut son precieux sang toute la maison de l’eglise en est renplie.
‘Courons doncques, courons affectueusement, nous qui sommes les espouses du doulx Jhesus a l’oudeur de ses oingnemens pour embasmer et arrouser le jardin de nos consciences. Mettons nous au pié de la croix par pitié et par conpassion avecques la piteuse mere Marie et recoueillons ce beau sang au vesseau de nostre coeur, lequel procedoit par lez douloureuses playes de son precieux corps. Et puisque nous ne povons cuyre nostre coeur en la gresse de nostre charité et amour pour donner et refectioner nostre doulx espoulx Jhesus -- lequel meurt de fain et de soif de menger et incorporer nos ames, de quoy dit David en sa persone: Sitivit in te anima mea -- cuysons iceluy donc en la gresse de l’amour et charité du doulx Jhesus, laquelle il a faict sortir de son coeur pour nous arrouser’. O qui est le coeur si dur et si sec qui refusseroit celle belle gresse de Folio 324rl’amour divin, laquelle non seullement une fois il a espandue pour l’amour de nous, mais tous lez jours la nous presente? Ensuyt doncques pour conclusion, le doulx Jhesus est merveilleusement delectable a sentir et odorer.
Item, je trouve que le doulx Jhesus est delectable a gouster pour l’estimable doulceur de sa saveur. De quoy parle David: Gustate et videte quoniam suavis est Dominus. Et luy mesmes dit: Spiritus enim meus super mel dulcis. ‘Mon esperit’, dit il, ‘est plus doulx que le miel’. ‘Ceux qui me mengent’, dit il, ‘par bones operations procedantes de charité et qui me boivent par vraye congnoissance de soy, il auront encores fain et soif jusque a ce qu’ilz soient avecques moy par gloire’. Il est a noter, pour entendre cela que nous disons, que le goust de quoy nous goustons le doulx Jhesus en ce monde, c’est pure et entiere devotion. Et nonobstant que le doulx Jhesus ne peut estre veu en ce monde Folio 324vainssi qu’il est, toutesfoys il se donne a d’aucuns spirituellement a veoir, a ouyr et embrasser, a baiser et a gouster.
On le voit per contemplation ou admiration non pas clerement. On l’oyt par douce recordation. On l’enbrasse par vray desir et esperance. On le baise par amour, et on le gouste par vraye devocion. Et c’est quant il instille et faict degoutter aux coeurs des humbles amoureulx aulcunes gouttes de sa divine suavité qui esmouvent l’appetit et le goust, affin que on l’ayme et que on le cherche plus ferventement. Et cela faict endurer et porter plus pacientement les douleurs, tribulations, et adversites de ce monde. Pourtant dit aulcun devot: ‘O bon Jhesus, si c’est une chose tant doulce que pleurer aprés toy, quelle joye sera il estre esjouy avecques toy?’ Ceste doulceur et delectation en Dieu est appellee devotion, mais elle est aux ungs plus que aux aultres selon le bon plaisir de Dieu, Folio 325r la cause pourquoy seroit longue et difficille a racompter.
Ceulx qui n’on[t] point si grant goust mais qu’ilz facent cela qui est en eulx ne laissent pas a estre en la grace et en l’amour de Dieu, a l’aventure plus que les aultres qui ont plus de goust de devocion; ce sont lettres clozes. En quelque sorte que on se trouve touchant ce cas là, il fault tousjours se tenir au gros de l’arbre qui est humilité. Et se on a le bel oysel de devotion en la caige de sa conscience, il fault se garder de l’ouvrir par le vent de vaine gloire qu’il ne s’envolle. ‘Ung chas[c]un’, dit sainct Pol, ‘garde bien son vaisseau en sanctification et honneur’. ‘Le doulx Jhesus’, dit Job, ‘poise lez eaues par mesure’. Les eaux sont les devotions des sainctz, lesquelles il modere et distribue selon qu’il voit estre decent et convenable et profitable a ung chacun, par quoy chascun se doibt contenter de la devotion que Dieu luy donne. Generallement a parler, tout Folio 325vce qui est faict humblement et par charitable affection est appelee devotion.
Pour conclure, donques je dis que le doulx Jhesus est delectable a aymer, qui est a dire le toucher, car par vraye amour on le touche, on l’embrasse, on le baise. ‘Toute fois’, dit sainct Gregoire, ‘que nous sommes pointz et en[f]lambez de l’amour du doulx Jhesus, aultant de fois nous le baisons et enbrassons’. Et sa[i]nct Augustin, ravy en amour divine, dit par admiration: ‘Qu’est ce que j’ayme, mon Dieu, quant je t’ayme? N’est ce pas une lumiere, une oudeur, une viande, une doulceur, et ung goust qui excede tous delices, plaisirs, et delectations? Car toutes aultres choses sembles ameres et fastidieuses au regard de ton amour’. O que c’est ung doulx service que ton sainct amour! O que tu prens doulcement celuy qui t’ayme! O que tu le liez glorieusement! Tu le charges delectablement. Tu l’estraictz fort, tu l’instruictz et enseignes sagement.
L’amour du doulx Jhesus est sy Folio 326r grande qu’elle diminue toute paine. Elle consume toute affliction et convertit toute desolation en consollation, et toute amaritude en doulceur et suavité. ‘C’est ung vin’, dit David, ‘qui resjouyt et consolle le coeur de l’home. C’est ung pain qui conferme le coeur contre toutes malladies’. De quoy parle le doulx espoulx Jhesus aux Cantiques: ‘Menges’, dit il, ‘mes amys et vous enyvrez de mon vin de charité’. ‘Charité’, dit sainct Augustin, ‘est une fontaine de tous biens de quoy ne boit personne qui soit eslongee de l’amour de Dieu. C’est un pain qui nourrist et donne toute sorte de delectation’. Ceulx qui mengeussent veritablement ce pain par excercice de bones oeuvres avecques paine et labeur sont ceux qui trouvent le vray repos. ‘Charité’, dit sainct Augustin, ‘ne trouve point de difficulté’. Celuy qui ayme n’a point de paine. Si convoitize porte si grant fardeau Folio 326v avecques les avaricieux, pourquoy ne porte charité son fardeau avecques nous qui est si leger, sy facile et sy doulx ? Si nous ne voulons point sentir le labeur de l’operation quelconquez dificille, ayons charité et vraye amour. Sa[i]nct Augustin dit que charité nous faict courrir ligerement et nous fait trouver toutes choses dificilles et labourieuses facilles et legieres, et finallement nous fera reposer avecques celuy que nous aymons qui est le doulx Jhesus.
Davantaige dit sainct Bernard que l’ame est mesuree par la mesure de charité. Si elle a beaucoup de charité, elle est grande. Si elle en a peu, elle est petite. ‘Si elle n’en a point, elle est morte et est comme rien’, dit sainct Pol. Il fault dont noter: qui ha l’amour du doulx Jhesus, il a tout; et qui ne l’a, il n’a rien. ‘Fay tout cela que tu vouldras’, dit sainct Augustin, ‘mais que tu ayes charité’. Je dis finablement que l’amour du doulx Jhesus est comme miel doulx et Folio 327r delectable, lequel s’il povoit estre espandu en enffer, il adoulciroit et destruyroit lez painnes qui y sont. De quoy dit sainct Augustin: ‘Toute choses sens charité ne saroient sembler doulces’. Et pourtant, dit il: ‘tout cela que Dieu me saroit doner, je ne le prise rien sans son amour’.
Or doncques pour conclusion, ‘approchons nous de luy par vraye amour’, dit David, ‘et nous serons enlumynez, car c’est la vraye lumyere’. Et sainct Anbroise dit la dessus: ‘aprochons nous non seulement pour estre enluminez, mais pour estre enyvrez, car c’est la fontaine; aussi pour estre rassaziez, car c’est le pain de vie; aussi pour estre garis et absoubs de tous pechez, car c’est la vraye medicine et celuy qui pardone tous pechez’. Mais il est a noter que la maniere de trouver et parfaitement gouster ceste belle amour du doulx Jhesus, aussy pour bien s’y excercer, c’est souvent reduyre a memoyre et devotement contempler et Folio 327v mediter par pitié et conpassion lez greves doulleurs de sa dure mort et passion, considerant que tout ce qu’il a faict, c’est pour l’amour de nous.
Rendons luy donc amour pour amour, car amour qui est biencertaine ne peult durer aulcunement quant elle congnoist certainement que ce qu’elle ayme seuffre paine. ‘Faisons comme le poucin de l’eronde’, dit le prophette Esaye, ‘qui crie “sy, sy” de ce monde, car ce n’est que vanité’. ‘En ce monde’, dit le sage, n’y a que vanité, excepté aymer Dieu et le servir’. Soyons actentifz comme la conlumbe qui s’enfuyt en son pertuys quant elle voit venir l’oyseau de proye. La columbe, c’est l’ame devote, laquelle son espoux le doulx Jhesus appelle aux Cantiques, disant: ‘Lieve toy et hastez, ma mye, mon espouse, ma belle. Viens t’en au troux de la pierre et en la caverne du mur’. La pier`r´e, c’est le doulx Jhesus. Les troux sont les fixures Folio 328r des cloux aux piez et aux mains. La caverne du mur, c’est la playe du costé qui est nostre refuge et habitation, dit sainct Bernad. ‘Où est nostre vie’, dit il, ‘et nostre vray repos sinon aux plays du doulx Jhesus’? C’est l’enfermerie et l’hospital de ce monde pour louger tous malades. ‘Si la chair’, dit sainct Bernad, ‘nous incite et le monde nous presse et l’ennemy nous guecte, nous n’avons garde d’estre prins ne vai[n]cus mais que soyons loges en cest belle caverne du costé du doulx Jhesus’.
C’est la boutique du grant apotiquaire, là où sont trouvees toutes sortes de drogue`s´ et de medicines pour garir toutes malladies. La recordation et memoyre du doulx Jhesus pendant en la croix lenit et adoulcist toutes douleurs. Elle tire du coeur le dart d’inpacience. Elle fait vomir le venin d’orgueil duquel sont causees toutes les aultres maladies et pechez de l’ame. Elle restitue toutes vertus Folio 328v en plus grant degré de perfection que eu paravant. Elle rent toutes austerites -- soient jeusnes, veilles, oraisons et abstinences -- delectables et plainnes de toute suavité. De quoy recyte ung docteur contemplatif d’une religieuse laquelle avoit de coustume de jeuner le vendredy au pain et a l’iau pour l’amour [?du doulx Jhesus] et en contamplant devotement le jusne et abstinence du doulx Jhesus qu’il fist celuy jour en l’abre de la croix. Mais par la suasion et temptation de l’annemy des amateurs du doulx Jhesus elle se ennuya, luy senblant estre trop dur pour elle faire telle abstinence. Et le doulx Jhesus, jaloulx du salut des ames, s’aparut a elle comme il estoit en la crois et luy monstra son cousté tout ouvert en luy disant: ‘Hellas, ma fille et amye, es tu ennuyee de jeuner pour l’amour de moy? Si tu trouvez ton pain trop dur, faictz de soupes et les Folio 329r metz tremper au vesseau de mon costé avec mon sang, et tu les trouveras bien la[r]dés et delectables a menger’.
Pour toute resolution, doncques, je dis que le vray goust de charité et vraye amour consiste en la passion du doulx Jhesus, là où doibt estre pour acquerir l’amour d’iceluy doulx Jhesus toute nostre delectation, refuge, exercice et consollation.
About
About this text
Identification
Paris, Bibliothèque nationale de France, MS Français 2462, fols 316r-329rContents
This manuscript contains three texts, all of which were written for nuns. It seems that the first and longest text was written by a woman. The second and third texts are the work of a different (probably male) author.
- Ung petit devys et recreation devotte par maniere de contemplacion sur les oeuvres de nostre createur et commensant a la creation des anges et venant a la creation du munde, thiré tant du viel testament que du nouveau, fols 1r-175v; 184r-312v
- Fols 313r-315v left blank
- Ung petit traictté du nom de Jesus tres proffitable, fols 316r-329r
- Ung petit traitté des loue[n]ges de vierge Marie et de son precieux nom, fols 329r-331v; 176r-183v; 332r-339v
Physical description
Materials: Paper.
History
Origin
Middle French
About this edition
This is a facsimile and transcription of C’est ung petit traictté du nom de Jesus tres proffitable. It is held by the Bibliothèque nationale de France (shelfmark: MS Français 2462, fols 316r-329r.
The Bibliothèque nationale de France has digitised the whole manuscript which is available for consultation at: https://archivesetmanuscrits.bnf.fr/ark:/12148/cc49031n. The digitised images are available at: https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b90069661.
Jonas Section Romane: only provides a partial description at: https://jonas.irht.cnrs.fr/consulter/manuscrit/detail_manuscrit.php?projet=81046. There is no entry on Arlima for this manuscript.
The transcription was encoded in TEI P5 XML by Emma Huber, University of Oxford.
Availability
Publication: Taylor Institution Library, one of the Bodleian Libraries of the
University of Oxford, 2025. XML files are available for download under a Creative Commons Attribution-ShareAlike 4.0 International License .
Source edition
C’est ung petit traictté du nom de Jesus tres proffitable. 15th century.
Editorial principles
Created by encoding transcription from manuscript.
Although Ung petit traictté du nom de Jesus tres proffitable and Ung petit traitté des louenges de vierge Marie et de son precieux nom are two separate texts, they are written by the same author and the same scribe. It seems that the latter did not correct his text, as errors are left uncorrected. Abbreviation signs and single letters are sometimes missing, and there is a number of awkward sentences where something appears to have gone wrong. Occasionally, since the scribe does not dot all his ‘i’, it is difficult to know whether a dot is simply a dot or an abbreviation sign. From time to time, verbal infinitives are represented by ‘é’ rather than the more usual ‘er’. Saint Bernard of Clairvaux is often written as ‘Bernad’, without the second ‘r’.
Patristic and Biblical quotations are in Latin and / or in French. It is often unclear where they begin and where they end, and whether they are quotations or paraphrases. In the abbreviation for ‘Jhesus’(‘ihs’), the ascender of the ‘h’, is crossed by a horizontal stroke in such a way that the letter resembles the sign of the cross.
On the Petit traictté du nom de Jesus, see Anne Mouron, ‘“Le nom de Jhesus en la bouche plus doulz que miel”: An Overlooked Fifteenth-Century Middle French Treatise in Paris, Bibliothèque nationale de France, MS français 2462’, in The Power of Words in Late Medieval Devotional and Mystical Writings. Essays in Honour of Denis Renevey, ed. by Rory G. Critten and Juliette Vuille (Turnhout: Brepols, forthcoming)
Downloads
Text
XML files are available for download under a Creative Commons Attribution-ShareAlike 4.0 International License .