J’Estois   née   à   Colchos   dans   le   rang   de   Prin -   cesse ,
   Lors   que   tes   faux   sermens   suprirent   ma   ten -   dresse ,
   Et   je   ne   voyois   rien   qui   ne   dût   m’obeïr ,
   Quand   j’employay   pour   toy   mon   Art   à   me   tra -   hir .  
 C’étoit ,   ingrat ,   c’étoit   avant   cette   victoire
   Que   je   pouvois   mourir   avec   toute   ma   gloire ,
   Et   je   n’ay   trop   vécu   que   depuis   que   Jason
   A   charmé   tout   mon   charme   &   volé   la   Toison .  
 Falloit-il   que   d’Argos   le   funeste   navire
   Enlevât   avec   moy   l’appuy   de   nôtre   Empire ?  
 Falloit-il   que   les   Grecs   pour   troubler   mon   repos ,
   Beussent   de   l’eau   du   Phase ,   &   vinssent   à   Col -   chos ?  
 Devois   je   en   tes   cheveux   enchaîner   mes   desirs ?  
 Devois-je   t’écouter ,   ou   croire   tes   soupirs ?  
 Si   Typhis   eût   pris   port   dans   l’horrible   contrée
   Dont   le   nom   est   fameux   par   la   Toison   dorée ,
   Jason ,   qui   met   sa   gloire   en   des   exploits   si   beaux ,
   Eût   couru   se   livrer   aux   flâmes   des   Taureaux .  
 Il   eût   forcé   la   terre   à   devenir   la   mere
   D’un   escadron   armé   contre   son   propre   pere ;
   Et   ces   guerriers   ingrats   le   perçans   tour   à   tour
   Eussent   donné   la   mort   en   recevant   le   jour .  
 Ta   mort   eût   étouffé   toute   ta   perfidie ,
   Ta   mort   eût   assuré   le   repos   de   ma   vie ,
 Et 51MEDE’E   A   JASON51 Et   par   ce   beau   trépas   nous   serions   à   present ,
   Et   moy   moins   mal-heureuse   &   toy   plus   innocent .  
 Je   trouve   dans   l’ardeur   du   beau   feu   qui   m’anime
   Un   espece   de   joyé   à   repasser   ton   crime ,
   Et   de   tous   nos   plaisirs   qui   n’ont   pû   te   toucher
   Je   n’ay   plus   que   celuy   de   te   les   reprocher .  
 Lors   qu’on   te   sit   partir   sur   une   Mer   émeuë ,
   Lors   qu’on   te   sit   chercher   une   route   inconnuë ,
   L’on   te   vit   à   Colchos ,   où   ton   cœur   amoureux
   Trouvoit   assez   d’appas   pour   y   borner   tes   vœux .  
 Dans   cette   aimable   terre ,   abondante   en   richesse ,
   J’étois   ce   qu’est   icy   ta   nouvelle   Maîtresse ,
   Et   son   père   n’a   rien   à   ne   le   point   flatter
   Que   lors   avec   raiſon   le   mien   pût   souhaiter ,
   Creon   voit   de   deux   Mers   sa   puissance   bornée ,
   Et   quoy   que   contre   Aëte   ait   fait   la   Destinée ,
   Le   pont   de   la   Scythie   est   assez   éloigné ,
   Et   tous   deux   ils   bornoient   où   mon   père   a   regné .  
 Il   vit   avec   plaisir   que   les   Princes   de   Grece
   Nous   avoient   envoyé   leur   plus   belle   jeunesse ,
   Et   ce   qui   fait   horreur   de   ton   manque   de   foy ,
   Il   te   sit   un   accueil   digne   d’un   si   grand   Roy .  
 Je   te   vis ,   &   j’appris   le   lieu   de   ta   naissance ,
   Mais   je   vis   aussi-tôt   mon   peu   de   resistance ,
   Et   tes   premiers   regards   triomphans   de   mon   cœur
   Firent   ton   premier   crime ,   &   mon   premier   mal -   heur .  
 D’abord   quoy   que   ce   fût   une   premiere   veuë ,
   De   ce   je   ne   sçay   quoy   je   me   sentis   émeuë ,
   Et   n’ayant   rien   aime   jusqu’à   ce   triste   jour
   Je   connus   que   j’aimois   sans   connoître   l’amour .  
 Je   te   vis   si   charmant   qu’il   fallut   bien   me   rendre ,
   Tes   yeux   étoient   trop   beaux   pour   m’en   pouvoir    deffendre ,
   Et   mon   Destin   d’accord   avec   tous   tes   appas ,
   Achevoit   dans   mon   cœur   ce   qu’ils   ne   faisoient   pas .  
C2Tu 5252EPISTRES   D'OVIDE , Tu   sçeus   que   de   mon   feu   l’ardeur   étoit   extréme ,
   L’amour   se   sert   de   tout   pour   se   trahir   luy-même ,
   Et   quelque   soin   qu’on   prenne   à   le   dissimuler ,
   Sa   flâme   a   trop   d’éclat   pour   se   pouvoir   celer .  
 Un   jour ,   je   m’en   souviens ,   j’étois   avec   mon   pere ,
   Lors   que   tu   demandois   qu’on   t’ouvrît   la   carriere ,
   Et   ce   Prince   alarmé   du   peril   de   Jason ,
   Te   disoit   à   quel   prix   l’on   gagnoit   la   Toison .  
 Il   te   contoit   l’horreur   que   dans   toute   la   plaine
   Jettoient   les   deux   Taureaux   de   leur   brûlante   ha -   leine ,
   Et   t’apprenoit ,   touché   de   ce   qu’on   doit   au   rang
   Combien   à   les   dompter   il   coûteroit   de   sang .  
 Leurs   feux ,   te   disoit-il ,   sont   bien   plus   redouta -   bles
   Que   ce   que   la   nature   inspire   à   leurs   semblables ,
   Et   Mars   a   reparé   par   un   charme   jaloux
   Tout   ce   qui   leur   manquoit   de   force   &   de   cour -   roux .  
 Leurs   pieds   sont   tous   d’airain ,   de   bronze   leurs   na -   rines ,
   Et   pour   joindre   la   ruse   à   leurs   forces   divines ,
   L’on   voit   une   fumée   autour   de   chacun   d’eux
   Qui   le   rend   effroyable   &   le   dérobe   aux   yeux .  
 Et   si   vous   échappez   de   cette   horrible   guerre ,
   Il   faut   du   Champ   de   Mars   ensèmencer   la   terre ,
   Et   tirer   de   ses   flancs   des   Guerriers   tous   armez
   Contre   le   même   bras   qui   les   aura   ſemez .  
 Aprés   ce   grand   combat   il   faut   trouver   l’adresse
   De   dissiper   un   charme   où   le   Ciel   s’interesse ,
   Et   l’on   doit   assoupir   un   Dragon   sans   pareil
   Qui   n’a   jamais   connu   les   appas   du   sommeil .  
 A   ce   triste   recit   dont   tu   sentois   l’atteinte
   Tes   Heros   alarmez   avoient   pâly   de   crainte ,
   Et   le   plus   assuré   de   tous   tes   demy   Dieux
   Sortit   la   peur   dans   l’ame ,   &   la   mort   dans   les   yeux .  
Ta 53MEDE’E   A   JASON .53 Tu   n’avois   pas ,   Jason ,   pour   ta   chere   Greüse
   Ce   precieux   amour   que   ton   cœur   me   refuse ,
   Et   la   soif   de   regner   n’êtoit   pas   dans   ton   cœur ,
   Ou   n’étoit   plus   alors   qu’un   larcin   de   la   peur .  
 Je   te   vis   abîmé   dans   ces   sombres   alarmes ,
   Mais   je   ne   te   pus   voir   sans   répandre   des   larmes ,
   Et   lors   que   tu   sortis   tu   pouvois   te   flatter ,
   Que   c’étoit   à   regret   que   je   t’allois   quitter .  
 Mes   yeux ,   mes   trîtes   yeux ,   autheurs   de   mon   mar -   tyre ,
   Te   dirent   un   adieu   que   je   n’osois   te   dire ,
   Et   l’interêt   du   sang   me   sit   dans   ma   douleur
   Pleurer   toute   la   nuit   la   perte   de   mon   cœur .  
 De   ce   que   je   croyois   me   devoir   à   moy-même ,
   Je   passois   aux   devoirs   de   mon   amour   extréme ,
   Et   les   feux   du   Dragon ,   les   Soldats ,   les   Taureaux ,
   Sembloient   avant   ta   mort   m’ouvrir   mille   tom -   beaux .  
 Mon   amour   me   donnoit   une   sensible   atteinte ;
   De   ce   charme   secret   je   passois   à   la   crainte ;
   Mais   lors   que   je   voulois   faire   un   second   retour
   La   crainte   alloit   enfin   du   côté   de   l’amour .  
 Le   Soleil   commençoit   d’épandre   sa   lumiere
   Quand   ma   soeur   me   rendit   sa   visite   ordinaire ;
   Elle   parut   surprise ,   &   son   cœur   fut   touché
   De   voir   contre   mon   lit   mon   visage   attaché ;
   Mes   cheveux   negligez   flottoient   sans   artifice ,
   Et   dans   de   vains   efforts   à   me   rendre   justice ,
   De   ton   crime   en   secret   accusant   les   Destins
   Mes   pleurs   portoient   mes   feux   sur   les   objets   voisins .  
 Ma   Sœur   pour   ton   secours   implora   l’assistance
   Dont   une   autre   a   le   fruit   par   ton   peu   de   constance ,
   Et   ma   Sœur   que   j’aimois   m’enleva   par   raison
   Ce   que   par   mon   amour   je   donnois   à   Jason .  
 On   voit   prés   le   Palais   du   mal-heureux   Aëte .  
 Un   bois   où   le   silence   à   choisi   sa   retraite ,
C   3Et 5454EPISTRES   D’OVIDE , Et   son   ombre   invincible   à   toutes   les   saisons
   Repousse   du   Soleil   les   timides   rayons ;
   Dans   ce   bois   écarté   Diane   est   adorée ,
   Et   l’on   voit   que   dans   son   Temple   une   Image   dorée ,
   Où   dans   les   traits   divers ,   tant   l’or   est   bien   perdu ,
   L’art   avec   la   Nature   y   paroit   confondu .  
 Je   ne   sçay   si   le   temps   s’en   est   rendu   le   Maître
   Mais   ce   fut   dans   ce   lieu   que   tu   te   fis   connoître ,
   Et   qu’avec   un   visage   aussi   beau   que   menteur ,
   Tu   me   tins   ce   discours   aussi   doux   que   flatteur .  
 Sous   vos   divins   appas   la   Fortune   asservie
   Vous   a   faite   aujord’huy   l’arbitre   de   ma   vie ,
   Et   par   un   peu   de   haine ,   ou   par   un   peu   d’amour ,
   Vous   pouvez   ou   m’ôter ,   ou   me   rendre   le   jour .  
 Si   vous   pouvez   me   perdre   avec   tant   de   puissance ,
   Vous   pouvez   me   sauver   avec   plus   de   clemence ,
   Et   toûjours   plus   de   gloire ,   aprés   un   tel   malheur ,
   Suit   l’excez   de   bonté   que   l’excez   de   rigueur .  
 J’ose   donc   vous   prier   par   toutes   les   tempêtes
   Que   seule   vous   pouvez   détourner   de   nos   têtes ,
   Par   vôtre   sang   formé   du   plus   pur   sang   des   Dieux ,
   Par   le   Pere   d’Aëte   &   vos   autres   Ayeux ,
   Par   les   trois   noms   divers ,   par   tout   ce   que   Diane
   Dans   ses   Temples   sacrez   dérobe   à   l’œil   prophane
   Par   le   grand   Papeüs ,   par   la   fille   des   flots ,
   Et   par   les   autres   Dieux   qu’on   adore   à   Colchos .  
 J’ose   donc   vous   prier   de   rendre   à   nos   Provinces
   Et   les   fils   de   nos   Dieux ,   &   les   fils   de   nos   Princes ,
   Et   si   j’ose   pour   moy   ce   que   je   dis   pour   tous
   Conservez   un   Amant   qui   veut   vivre   pour   vous .  
 Si   Medée   en   Jason   trouvoit   dequoy   luy   plaire ,
   Ce   souhait ,   je   l’avouë ,   est   un   peu   temeraire ,
   Et   j’ay   peu   de   sujet   d’esperer   que   les   Dieux
   Veüillent   rendre   aujourd’huy   le   temeraire   heureux .  
 Si   vous   me   refusez ,   je   vay   mourir ,   MADAME ,
   Mais   si   ce   que   j’adore   est   sensible   à   ma   flâme ,
Que 55MEDE'E   A   JASON .55 Que   tout   le   Ciel   conspire   à   me   priver   du   jour
   Si   jamais   d’autres   feux   éteignent   mon   amour .  
 J’en   jure   par   Diane   en   ce   Temple   adorée ,
   J’en   jure   par   les   droits   de   l’union   sacrée .  
 J’en   jure   par   Junon   qui   fait   un   nœud   si   beau ,
   Et   d’Hymen   tous   les   jours   allume   le   flambeau .  
 Ces   sermens ,   ces   soupirs ,   &   cette   voix   char -   mante
   Acheverent   de   vaincre   une   vertu   mourante ,
   Et   l’esprit   d’une   fille   avoit   peu   de   secours
   Et   contre   tes   appas ,   &   contre   tes   discours .  
 Et   me   prenant   la   main   tu   répandois   des   larmes ,
   Falloit-il   ajoûter   quelque   chose   à   tes   charmes ,
   Et   mon   ſexe   attaqué   par   le   don   de   ta   foy ,
   Pouvoit-il   me   fournir   des   armes   contre   toy ?  
 Lors   que   je   t’eus   donné   l’art   de   vaincre   sans    peine ,
   Tu   soûmis   les   Taureaux   sans   craindre   leur   ha -   leine ,
   Et   tout   prêt   de   passer   à   de   nouveaux   hazards ,
   Tu   leur   fis   labourer   le   triste   Champ   de   Mars .  
 Là   les   dents   du   Serpent   dont   tu   semois   la   terre
   Poussoient   les   premiers   feux   d’une   cruelle   guer -   re ,
   Et   formoient   des   Soldats   tous   prêts   dans   leur    courroux
   De   te   donner   la   mort   &   d’éviter   tes   coups .  
 Moy   qui   t’avois   fourny   dequoy   parer   l’atteinte ,
   A   ce   spectacle   affreux   je   pâlissois   de   crainte ,
   Jusqu’a   l’heureux   moment   que   leurs   bras   éton -   nez
   Se   porterent   les   coups   qu’ils   t’avoient   destinez
   Lors   on   voit   le   Dragon   se   lever   de   sa   place ,
   Luy-même   il   s’inspiroit   une   nouvelle   audace ,
   Il   portoit   en   sifflant ,   &   du   poids   de   son   corps
   Il   étonnoit   la   terre   en   ses   pressans   efforts .  
C   4Où 5656EPISTRES   D'OVIDE , Où   pouvoit   être   alors   cette   Royale   épouse
   Dont   je   ne   voyois   pas   sujet   d’être   jalouſe ?  
 Où   pouvoit   être   alors   ce   grand   titre   de   Roy
   Qu’on   te   donne   à   Corinthe   aux   dépens   de   ta   foy ?  
 C’est   moy   qui   ne   suis   plus   qu’une   Scythe   ennemie ,
   C’est   moy   qui   me   trahis   pour   assurer   ta   vie ,
   Et   c’est   moy   dont   le   crime   enfin   t’ouvre   les   yeux
   Quand   tu   te   connois   mal   à   me   connoître   mieux .  
 C’est   moy   qui   t’ay   donné   la   divine   puissance
   De   rompre   du   Dragon   toute   la   vigilance :
   C’est   moy   qui   t’ay   sauvé ,   c’est   à   moy   que   tu   dois
   Une   fois   la   Toison ,   &   Jason   quatre   fois .  
 J’ay   quitté   mes   Etàts ,   &   j’ay   trahy   mon   pere ,
   J’ay   choisi   sans   regret   un   exil   volontaire ,
   Et   je   vois   cet   exil   pour   toy   recompenſé
   Du   larcin   de   ta   flâme   &   d’un   exil   forcé .  
 J’ay   pour   un   étranger   oublié   l’innocence
   Que   je   devois   au   sexe   autant   qu’à   ma   naissan -   ce ;
   J’ay   quitté   pour   te   suivre   &   ma   mere   &   ma    soeur ,
   Rends-moy   ce   que   je   perds ,   ou   laisse-moy   ton    cœur .  
 Je   ne   t’oubliay   pas   dans   ce   triste   voyage ,
   Cher   frere ,   je   ne   puis   en   dire   davantage ,
   Et   mon   crime   à   tel   point   redouble   mes   ennuis
   Que   je   n’ose   l’écrire   après   l’avoir   commis ;
   Tu   mourus   innocent ,   &   je   vis   criminelle ,
   Lors   les   Dieux   impuissans   trahirent   ta   querelle ,
   Et   pour   ſauver   ta   vie   ou   pour   vanger   ta   mort ,
   Le   Ciel   contre   Medée   eût   du   faire   un   effort .  
 Pour   te   quitter ,   Jason ,   j’avois   trop   de   tendres -   se ,
   Lors   qu’on   a   tant   osé ,   craindre   est   une   foiblesse ,
   Et   ce   grand   coup   d’essay   que   je   fis   à   tes   yeux
   Me   servit   à   braver   la   fortune   &   les   Dieux .  
Que 57MEDE'E   A   JASON ,57 Que   faisoient-ils   ces   Dieux ,   que   faisoit   la   For -   tune ,
   Devions   nous   échapper   au   Trident   de   Neptune ?  
 Et   pour   ne   pas   perir   êtions- ⟨nous⟩ ** Later   addition   made   in   ink    innocens ,    Ou   les   Dieux   contre   nous   étoient-ils   impuis -   sans ?  
 Plût   au   Ciel   qu’un   rocher   voisin   des   Cyanées
   Eût   par   un   prompt   débris   siny   nos   destinées ,
   Et   qu’un   même   trépas   apres   de   tels   malheurs
   Eût   uny   nos   deux   corps   au   deffaut   de   nos   cœurs ,
   Scylle   affreux   precipice ,   en   ce   triste   voyage
   Vous   m’avez   mal   servy   de   m’ouvrir   un   passage ,
   Vous   pouviez   m’épargner   des   regrets   superflus ,
   Et   vous   m’eussiez   laissé   ce   que   j’aimois   le   plus .  
 Tu   triomphes   ingrat ,   de   ma   propre   conquête ,
   Tu   reviens   chez   les   Grecs   les   Lauriers   sur   la    tête ,
   Et   dans   la   Thessalie   on   fait   de   la   Toison
   Un   insolent   trophée   aux   crimes   de   Jason ,
   Joins ,   joins   à   mes   bontez   les   mal-heurs   de   Pelie ,
   Ses   filles   l’aimoient   trop   pour   luy   laisser   la   vie ,
   Et   l’amour   paternel   qui   les   faisoit   agir
   Eût   crû   trahir   son   sang   à   ne   pas   en   rougir .  
 Qu’à   l’Univers   entier   je   paroisse   execrable ,
   Si   j’avois   moins   aimée ,   je   serois   moins   coupable ,
   Et   plus   le   crime   est   grand   par   un   excez   d’amour ,
   Plus   à   le   bien   payer   tu   me   dois   de   retour ;
   Ce   que   j’ay   fait   pour   toy   doit-il   m’être   funeste ;
   Mes   soupirs ,   cher   ingrat ,   te   diront   mieux   le    reste ;
   Je   ne   puis   m’expliquer ,   tu   me   dois   tout   Jason ,
   Et   tu   peux   m’ordonner   de   quitter   ta   maison .  
 Traître ,   si   je   la   quitte   où   choisir   ma   retraite ?  
 Puis-je   regner   encore ,   où   vivray-je   en   sujette ?  
 Iray   je   dans   Colchos   pour   reprendre   mon   rang ,
   Moy   qui   l’ay   fait   rougir   du   plus   beau   de   son   sang ,
C   5Iray   je 5858EPISTRES   D’OVIDE , Iray-je   en   Thessalie ,   où   l’horreur   de   mon   crime
   Demande   au   nouveau   Roy   ma   tête   pour   victi -   me ?  
 Iray   je   dans   Lemnos   m’exposer   au   courroux
   Du   pouvoir   souverain   &   d’un   amour   jaloux ?  
 J’ay   pourtant   obeï ,   j’ay   pris   pour   compagnie
   Les   fruits   infortunez   d’une   foy   desunie ?  
 Mais   ce   qui   me   fait   vivre   &   la   nuit   &   le   jour ,
   Quand   tu   me   fois   mourir ,   perfide ,   c’est   l’amour .  
 J’ay   fait   de   vains   efforts   à   te   voler   mon   ame ,
   Que   dis-je ?   je   trahis   l’interêt   de   ma   flâme ,
   Non ,   mon   foible   courroux   dans   toute   ma   dou -   leur
   N’a   fait   que   des   souhaits   de   regagner   ton   cœur .  
 Juge   si   ma   douleur   pensa   m’être   mortelle ,
   Lors   que   de   ton   Hymen   on   m’apprit   la   nouvelle ,
   Et   si   de   cet   Hymen   le   mal-heureux   flambeau
   N’eût   pas   du   m’éclairer   à   descendre   au   tombeau .  
 Je   me   trouvay   sans   forces   au   chant   de   l’Hyme -   née ,
   Chant   cent   fois   plus   funeste   à   mon   ame   étonnée
   Que   celuy   dont   le   Cygne   a   soin   de   se   pleurer ,
   Lors   que   sur   le   Meandre   il   est   prêt   d’expirer .  
 Quoy   que   ton   crime   en   moy   trouvât   peu   de    croyance ,
   Je   n’osois   me   flatter   de   toute   ta   constance ;
   L’amour   a   des   soupçons   autant   qu’il   a   d’appas .  
 Et   l’on   craint   fort   souvent   ce   qu’on   ne   croiroit    pas .  
 Corinthe   pousse   au   Ciel   de   grands   cris   d’alle -   gresse ,
   Sa   joye   en   cét   état   redouble   ma   tristesse ,
   Et   plus   ton   mariage   allume   de   plaisirs ,
   Plus   ce   dernier   malheur   anime   mes   soupirs .  
 Entre   tous   tes   Sujets   mes   plus   chers   domestiques
   Ne   prenoient   point   de   part   à   ces   fêtes   publiques ,
Ils 59MEDE’E   A   JASON .59 Ils   cachoient   leur   douleur ,   &   dans   leur   entretien
   Ils   n’osoient   m’expliquer   ce   que   je   sçavois   bien ;
   Oüy   je   sçavois   trop   bien   ce   triste   mariage ,
   Que   j’aurois   oublié   si   j’eusse   été   plus   sage .  
 Mes   feux   pour   l’ignorer   en   étoient   trop   blessez ,
   Et   jamais   rien   n’échappe   aux   yeux   interessez .  
 Lors   un   de   nos   enfans   qu’une   ardeur   de   jeunesse
   Avoit   fait   pour   te   voir   avancer   dans   la   presse ,
   Croyant   qu’avec   plaisir   je   verrois   ton   bonheur
   Me   vint   innocemment   redoubler   ma   douleur .  
 Je   me   frappay   le   sein ,   je   déchiray   ma   robe ,
   Faut-il   que   je   l’adore   &   qu’on   me   le   dérobe !  
 Dis-je ,   que   sa   Creüse   en   ce   mal-heureux   jour ,
   Ait   triomphé   de   moy ,   de   Mars ,   &   de   l’Amour .  
 Je   voulois   par   mes   cris   troubler   toute   la   fête
   T’ôter   ces   belles   fleurs   qui   couronnoient   ta    tête ;
   Et   j’eus   peine   à   calmer   un   mouvement   jaloux
   Qui   sans   cesse   à   ma   voix   demandoient   mon   époux .  
 Peuple   que   je   trahis   quand   je   trahis   mon   pere ,
   Je   dois   un   sacrifice   aux   manes   de   mon   frere ,
   Il   étoit   vôtre   Prince ,   il   étoit   de   mon   rang ,
   Et   son   sang   épanché   me   demande   du   sang .  
 Il   est   assez   vengé   par   le   peu   de   constance
   D’un   époux   dont   l’amour   fit   toute   mon   offen -   ce ,
   D’un   Epoux   que   j’aimois   avant   nos   differens ,
   Et   plus   que   mes   sujets ,   &   plus   que   mes   parens .  
 Tu   me   quites ,   Jason ,   &   quand   j’ay   par   mes   char -   mes
   Triomphé   des   Taureaux ,   de   Mars   &   des   Gen -   d’armes ,
   Mon   Art   qui   fait   trembler   les   Cieux   &   les   Enfers
   N’a   pû   garder   un   cœur   que   j’avois   mis   aux   fers .  
 L’amour   ne   peut   souffrir   que   le   charme   le   flate ,
   Il   ne   veut   rien   devoir   aux   mysteres   d’Hecate
C   6Il 6060EPISTRES   D’OVIDE Il   a   presque   toûjours   ses   interêts   à   part ,
   Et   seul   de   tous   les   Dieux   il   échappe   à   mon   Art.   
 Le   jour   me   semble   obscur ,   &   n’a   plus   rien   que    j’aime .  
 La   nuit   je   ne   sçaurois   me   donner   à   moy   même
   Ce   repos   que   mon   charme   inspiroit   au   Dragon ,
   Et   je   suis   sans   pouvoir   si   je   ne   sers   Jason .  
 Quoy !   je   l’auray   sauvé   pour   enrichir   Creüse ;
   Pour   la   voir   triompher   d’un   cœur   qu’on   me   re -   fuse ,
   Et   quand   j’ay   tout   quitté   pour   suivre   mon   Epoux ,
   Creüse   vous   voulez   qu’il   me   quitte   pour   vous .  
 Peut-être   tirez-vous   de   cet   Amour   volage
   Avec   la   trahison   le   mépris   &   l’outrage .  
 Peut-être   qu’il   vous   dit   qu’il   eut   besoin   de   moy ,
   Lors   que   dans   mes   Etâts   il   me   donna   sa   foy .  
 Peut-être   qu’il   vous   dit ,   que   je   ne   suis   pas   belle ,
   Qu’il   n’a   jamais   brûlé   pour   une   criminelle ,
   Que   seule   il   vous   adore ,   &   qu’il   se   plaint   des    Dieux
   D’avoir   pû   jusqu’icy   vous   dérober   ses   vœux .  
 Riez   entre   ses   bras   de   cette   perfidie ,
   Je   sçauray   vous   punir   quand   j’en   auray   l’envie ,
   Et   si   de   mon   Jason   le   cœur   est   arrêté ,
   Des   feux   vous   l’ôteront   comme   ils   me   l’ont   ôté ;
   Tant   qu’il   est   du   poison   dans   toute   la   Nature ,
   Il   en   est   pour   vanger   ce   qu’on   me   fait   d’in -   jure ,
   Il   en   est   pour   aider   à   mon   ressentiment ,
   Mais   il   en   est   sur   tout   pour   me   rendre   un   Amant .  
 Jason   à   te   prier   j’abaisse   mon   courage ,
   De   mon   sexe   pour   toy   je   trahis   l’avantage ,
   Et   loin   de   te   traiter   d’un   air   imperieux ,
   Je   me   jette   à   tes   pieds ,   Jason   si   tu   le   veux .  
 Medée   est   toute   prête   à   te   rendre   son   ame ,
   Ecoute   la   nature   aussi   bien   que   ma   flâme ,
Ecoute 61MEDE’E   A   JASON .61 Ecoute   ces   enfans   que   tu   vais   exposer
   A   tout   ce   que   Creüse   est   capable   d’oser .  
 Ils   ont   tant   de   rapport   aux   traits   de   ton   visage ,
   Qu’on   les   prendoit   pour   toy ,   s’ils   étoient   de    même   âge .  
 Helas !   qu’en   les   baisant   j’ay   répandu   de   pleurs
   Et   que   ce   souvenir   m’a   coûté   de   douleurs !  
 Je   te   prie   à   mon   tour   par   les   Dieux   de   la   Grece ,
   Par   ce   qui   m’a   resté   de   ton   peu   de   trendresse ,
   Par   le   grand   Papeüs ,   &   par   le   Dieu   du   jour ,
   Ou   donne   moy   la   mort ,   ou   rends   moy   ton   amour .  
 J’ay   tout   quitté   pour   toy ,   j’ay   trahy   ma   naissance ,
   Pour   moy   fais   à   ton   ame   un   peu   de   violence ,
   Pour   toy   j’ay   méprisé   l’Empire   de   Colchos ,
   Perds   celuy   de   Corinthe ,   &   nous   sommes   egaux .  
 Je   ne   demande   point   que   contre   des   Gens-d’armes ,
   Ou   contre   des   Taureaux   tu   me   donnes   des   char -   mes ,
   Je   ne   demande   points   des   effets   de   valeur ,
   Je   ne   veux   point   ton   sang ,   je   ne   veux   que   ton   cœur ,
   Je   ne   veux   que   Jason   qui   me   fuit   &   que   j’aime ,
   J’ay   crù   me   devoir   moins   qu’à   mon   amour   ex -   tréme ,
   Quelqu’autre   à   plus   haut   prix   auroit   mis   la   Toison .  
 Et   tu   dois   à   Medée   un   peu   plus   qu’à   Jason ;
   Demandes-tu   ma   dot ,   traître ,   tu   l’as   reçeuë ;
   Au   milieu   des   hazards   dont   tu   craignois   l’issuë :
   Ma   dot   est   ton   salut ,   ma   dot   est   ton   retour ,
   Ma   dot   est   la   Toison ,   ma   dot   est   mon   amour :
   Ma   dot   sont   tous   tes   Grecs ,   ma   dot   sont   tous   ces    Princes
   Que   mon   Art   a   rendus   à   leurs   cheres   Provinces :
   Consulte   un   peu   l’objet   dont   ton   cœur   est   épris ,
   Et   vends-luy   si   tu   peux   ton   amour   à   ce   prix .  
 Tu   me   dois   tes   Etâts   &   ta   nouvelle   épouse ,
   Tu   me   dois   le   pouvoir   de   me   rendre   jalouse ,
C   7Tu 6262EPISTRES   D’OVIDE , Tu   me   dois   tous   tes   jours ,   tu   me   dois   tous   tes    biens ,
   Tu   me   dois   en   un   mot   tes   crimes   &   les   miens ,
   Ah !   j’en   auray   raison .   Mais   que   sert   la   menace ?  
 Le   châtiment   prevû   tient   presque   lieu   de   grace ;
   La   colere   éloquente   est   d’un   foible   secours ,
   Et   jamais   un   grand   feu   ne   s’explique   en   discours .  
 Il   faut   à   mon   courroux   de   plus   hautes   maximes ,
   Pour   punir   un   ingrat   j’iray   jusques   aux   crimes ,
   Et   je   me   serviray   des   forfaits   de   Colchos
   A   surmonter   l’horreur   d’en   faire   de   nouveaux ;
   J’auray   quelques   remords   peut   être   aprés   la   chose ,
   Jason ,   de   mon   courroux   tu   sçais   assez   la   cause ,
   Mais   tu   ne   devois   pas   en   apprendre   l’effet ,
   Qu’un   succez   plus   heureux   n’eût   remply   mon    souhait .  
 Le   Dieu   qui   me   l’inspire   en   aidera   la   chûte ;
   Pour   t’avoir   trop   aimé   je   suis   à   tous   en   butte :
   Mais   puisque   mon   amour   fait   mes   abaissemens ;
   Je   sçauray   m’élever   à   d’autres   sentimens .  
 Je   t’ay   bien   conservé .   Par   la   même   puissance
   Je   pourray   travailler   à   ma   juste   vengeance ,
   Et   je   me   trouveray   dans   l’état   plein   d’appas
   De   refuser   ton   cœur   quand   tu   me   l’offiras .  
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DI   -